De la distanciation à la cohabitation avec le vivant, par le collectif Sciences Friction

La crise sanitaire et sociale actuelle a creusé plus encore nos distances avec le vivant : gestes barrières et distanciations sociales entre humains, suspicions à l’égard des animaux sauvages potentiellement réservoirs de virus, invitations à demeurer à distance des habitats naturels, voilà qui ne va guère dans le sens d’une cohabitation entre l’humain et le non-humain.

Cette cohabitation est pourtant nécessaire pour la préservation de nos conditions de vie, et celle de valeurs existentielles : nous ne sommes pleinement nous-mêmes qu’en convivialité avec les autres vivants. Or, la multiplication des réflexes biosécuritaires nous renvoie l’image d’une coexistence ratée.

Nous considérons que ce sont nos interactions, de vivant à vivant, qu’il s’agit de repenser et de refonder, plutôt que promouvoir une course à la biosécurité. L’écologie et la santé nous rappellent que notre vie déborde notre corps, et que nous sommes les premiers responsables de la situation actuelle.

L’hypothèse qu’il s’agirait de se protéger du sauvage nous trompe : c’est notre manière de penser le monde et d’agir qui fait problème. La promiscuité entre espèces sauvages et humains, à la source de nouvelles maladies, naît de la précarité et de l’exploitation sociale. La propagation mondiale du Covid-19 résulte d’une transmission interhumaine assurée à la vitesse des déplacements d’individus dans un monde hyper-métropolisé. Et son impact résulte aussi de choix politiques et économiques.

Nous distancier du sauvage serait le reléguer à des espaces dédiés, et obéir au dogme obsolète d’une nature dépourvue d’humains. Faire société avec la nature impose de lui réserver des espaces protégés, mais aussi de réduire nos pressions sur le vivant dans l’ensemble des espaces, y compris agricoles et urbains. Si distance il faut prendre, c’est avec la dématérialisation du relationnel, amplifiée lors du confinement, et combler d’expériences sensibles le fossé que nous avons creusé.

Le vivant s’épanouit là où nous lui cédons un peu de place. Ce printemps, les oiseaux d’eau ont niché dans des espaces habituellement fréquentés. Mais ce n’est que l’expression d’une réorganisation hâtive, liée à la temporalité du confinement. Cette crise nous enjoint de repenser la cohabitation entre humains et non-humains, non plus seulement comme une communauté de destins mais aussi comme un partage de l’espace et du temps.

Le social, l’économique et le vivant sont interconnectés et interdépendants. Toute vision monochrome du monde est vaine et suscite imagination et engagements pluridisciplinaires : à la logique biosécuritaire aujourd’hui proposée, l’écologie doit opposer celle du mouvement et de la diversité dans une perspective de coexistences, en s’appuyant sur l’éducatif et le politique.

 

Ce texte émane du collectif Sciences Friction (Espace de pensées sur le rapport Homme-Nature).

Jacques Tassin, écologue et chercheur, Cirad ; Carine Ritan, conseil et ingénierie en innovation socio-écologique ; Anne Atlan, socio-écologue et directrice de recherche, CNRS ; Rémi Beau, philosophe et chercheur, université de Bourgogne et Campus de la Transition ; Agnès Foiret-Collet, enseignant-chercheur, Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; Françoise Le Moine, directrice abbaye de Beauport ; Didier Olivry, docteur-ingénieur en écologie et gestion de l’environnement ; Bernard Picon, sociologue et directeur de recherche, CNRS ; Thierry Tatoni, écologue et professeur, Aix Marseille Université.

Crédit photo : association L’image qui parle

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