Série France Culture : « Mauvais départ pour le siècle : comment préparer l’avenir ? »

Vignette : Maison détruite par un ouragan au Texas, Etats-Unis.  Crédits : © switas – Getty

MATIÈRES À PENSER par Dominique Rousse
Série de cinq émissions sur France Culture du 24/12/2018 au 28/12/2018


 

Oui, le siècle nous semble assez mal parti et il n’est pas certain que nos sociétés et leurs gouvernants aient pris toute la mesure des enjeux démographiques, écologiques et sociaux devant nous. Cinq émissions pour regarder vers le futur.

 

(1/5) L’irruption de l’Anthropocène

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Nos sociétés ne sont pas les premières à s’inquiéter des dégradations de l’environnement ou des menaces qui pèsent sur lui mais ce qui se passe depuis le milieu du XXème est sans précédent. Au point que le terme de crise environnementale, longtemps utilisé, n’est plus pertinent. Une crise atteint un pic puis trouve une issue ; elle est supposée temporaire. Ce n’est pas le cas ici. Aucun retour à la normale n’est prévu. Au contraire, la gravité et l’étendue des problèmes s’accroissent et accélèrent, déjouant les prévisions. On a donné un nom au phénomène, l’Anthropocène. Il pointe clairement la mainmise de l’humain sur la nature et sa capacité à la détruire. Cette interprétation est-elle pour autant satisfaisante ? Ne comporte-t-elle pas des ambiguïtés,  des visions paradoxales ou réductrices ? Nous en parlons avec Catherine Larrère.

 

[Pour l’historien Sanjay Subrahmanyam], on ne sait pas combien de temps durera le capitalisme, mais ses conséquences risquent de durer plus longtemps que lui, et donc de peser sur toute l’humanité. (Catherine Larrère)

 

La Terre a connu pire. (…) Nous avons absolument besoin de la Terre, mais elle, elle n’a pas besoin de nous. (Catherine Larrère)

 

Il n’y a pas de solution simple, si ce n’est transformer profondément nos modes de vie. (…) Je crois que si l’on pense que l’anthropocène est la fin d’une époque, c’est la fin de l’idée que l’on pourrait tout prévoir. (Catherine Larrère)

 

Musique diffusée pendant l’émission : « L’Océan » de Fred Nevché.
BIBLIOGRAPHIE
L’Invention de l’économie au XVIIIe siècle : du droit naturel à la physiocratie, Catherine Larrère PUF, 2018
Penser et agir avec la nature : une enquête philosophiqueCatherine Larrère et Raphaël Larrère La Découverte Poche / Sciences humaines et sociales, 2018
INTERVENANTE
Catherine Larrère philosophe, professeure émérite à l’université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, spécialiste de philosophie morale et politique.

 

(2/5) Tout n’est pas perdu, vivons l’effondrement !

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Pablo Servigne se considère comme un catastrophiste raisonné. Catastrophiste « éclairé », pour reprendre les mots du philosophe Jean-Pierre Dupuy. Il assume le terme car il se veut réaliste. Il plaint plutôt ceux qui ne s’inquiètent pas de l’état de la planète. Voilà les vrais utopistes ! Il a écrit, il y a quelques années : Comment tout peut s’effondrer : petit manuel de collapsologie, à l’intention des générations présentes. Puis  l’Entraide, l’autre loi de la jungle. Il vient de publier : Une autre fin du monde est possible. Résilience, expériences positives, générations à venir…   Ou – c’est le sous-titre du livre – : « comment vivre l’effondrement et pas seulement y survivre ».

 

Bruno Latour met bien cela en évidence : il y a un acte de sécession des plus riches (élite économique et politique) qui sont très informés, en tous cas certains. Ils se préparent et ont les moyens de se construire un bunker doré : certains s’achètent des terres en Nouvelle-Zélande, et un jet privé qui les amènera là-bas… Il y a une pagaille, ils sont grandement responsables et ils se barrent ! (Pablo Servigne)

 

  • A propos des survivalistes :
On ne peut pas survivre seul, et on ne peut pas vivre. (…) La clé, c’est faire du lien. Ces gens-là retrouvent du lien avec les voisins, vont au conseil municipal. Progressivement, ils se rendent compte que le vrai bunker, ce sont les liens sociaux, l’entraide par anticipation. (Pablo Servigne)

 

Pour Philippe Descola, il faut arrêter d’employer le mot « nature », parce que nous sommes la seule culture à avoir séparé l’humain de la nature. Les autres cultures ne comprennent pas pourquoi l’on a fait ça. (…) Quels liens a-t-on avec les non-humains ? Les plantes, les champignons, les animaux… Ce sont des questions dont on n’a pas du tout l’habitude de parler, contrairement à d’autres peuples qui ont des relations d’interdépendance beaucoup plus riches et dont on pourrait apprendre beaucoup. (…) Nous sommes aveugles et sourds aux cris que nous lance la nature. (Pablo Servigne)

 

Musique diffusée pendant l’émission : « L’univers » de Dick Annegarn.
BIBLIOGRAPHIE
Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentesPablo Servigne et Raphaël Stevens Seuil, 2015
L’entraide, l’autre loi de la junglePablo Servigne et Gauthier ChapelleLes Liens qui libèrent, 2017
INTERVENANT
Pablo Servigne scientifique de formation devenu chercheur « in-terre-dépendant », auteur et conférencier.

 

(3/5) Sauver le vivant et se sauver avec lui

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Nous ne pouvons plus compter sur une amélioration de la situation des systèmes climatiques et vivants. Ils manifestent tous les signes de leur dérèglement. Le réchauffement du globe s’accélère au-delà des prévisions statistiques. Les populations d’espèces vivantes s’effondrent : en trente ans, 80% des populations d’insectes ou de phytoplancton dans les océans ont disparu.

Dans le moment où nous sommes, assure Dorothée Benoît-Browaeys, la question de la survie est posée. Sa réponse : Le véritable ressort du futur, c’est justement le vivant. Nous pouvons miser sur lui, l’imiter, imaginer avec lui le monde d’après, à condition de comprendre à quel point nous dépendons de lui et de manier avec précaution ses puissants outils. C’est la promesse de la bio économie.

 

Il existe désormais des outils d’édition de gènes capables de couper des morceaux d’ADN, de faire du bricolage. (…) Il y a beaucoup d’effets indésirables. (…) Il faut se demander ce que l’on veut faire, savoir si l’on peut expliquer l’intérêt de ces techniques-là … Car si on ne le contrôle pas, du point de vue du contrat social, il y a un problème. (Dorothée Benoît-Browaeys)

 

Récemment, des jumelles sont nées après avoir été modifiées génétiquement pour résister au virus du sida. (…) Si des chercheurs décident du bien fondé d’un projet sous pression de parents et de manière isolée, on va à la catastrophe, car des parents ont toujours des choses particulières à faire valoir. (…) Or, il faut hiérarchiser les priorités du point de vue de l’intérêt général. (Dorothée Benoît-Browaeys)

 

Musique diffusée pendant l’émission : « Moment parfait » de Philippe Katerine.
BIBLIOGRAPHIE
L’urgence du vivant : vers une nouvelle économie Dorothée Benoit-Browaeys Editions François Bourin, 2018
INTERVENANTE
Dorothée Benoit-Browaeys est présidente de TEK4life, qui coordonne les plateformes de dialogues BIORESP, NANORESP et DIGIRESP, dédiées aux enjeux écologiques et sociaux des nouvelles technologies. Journaliste et fondatrice de VivAgora, elle collabore à la revue Études et au magazine en ligne UP’Magazine. Elle enseigne les controverses techniques et la concertation à Paris 7, et est auteure de plusieurs ouvrages, dont L’urgence du vivant, Vers une nouvelle économie (François Bourrin, 2018), Le Meilleur des nanomondes (Buchet-Chastel, 2009), Fabriquer la vie. Où va la biologie de synthèse ? (Le Seuil, 2011), et Cerveau, sexe et pouvoir (Belin, 2005).

 

(4/5) Éloge de la frugalité

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Un autre regard sur les moyens de faire face à l’état de la planète abîmée, soumise à de grandes inégalités économiques et sociales et aux inquiétudes pour le XXIème siècle, bien « mal parti » : celui d’un économiste, Gilles Dufrénot. Il vient de mener une enquête minutieuse dans un grand nombre de pays en développement et fait paraître : Les pauvres vont-ils révolutionner le XXIème siècle ? (Atlande, 2018). Éloge de la créativité et des capacités d’organisation sociale dont font preuve des populations démunies, qui ne demandent qu’à se prendre en main.  Démonstration par l’économie de la frugalité de la pertinence des réponses aux enjeux contemporains. A condition, pour les pays industrialisés d’accepter de  « transcender le capitalisme » – c’est le sous-titre du livre.

 

A partir du XVIe siècle, on commence à considérer que la pauvreté est quelque chose d’anormal. Auparavant, on estimait qu’elle était inévitable et qu’il fallait aider les plus pauvres pour sauver son âme. (Gilles Dufrénot)

 

Les entreprises des pays développés s’inspirent des innovations frugales élaborées dans des régions pauvres pour définir un nouveau modèle de business et diminuer leurs coûts de production. (Gilles Dufrénot)

 

Les grandes utopies ont changé le monde : le siècle des Lumières, les idées humanistes… Au départ, c’était des utopies, qui ont donné lieu aux droits universels. Aujourd’hui, nous sommes obligés de changer notre vision de la manière dont fonctionnent nos sociétés et le capitalisme. (Gilles Dufrénot)

 

Musique diffusée pendant l’émission : “Travailler C’est Trop Dur” de Alpha Blondy & The Wailers (1986).
BIBLIOGRAPHIE
Les pauvres vont-ils révolutionner le XXIe siècle ? : transcender le capitalisme Gilles Dufrénot Atlande, 2018
INTERVENANT
Gilles Dufrénot Professeur à l’Ecole économie Aix-Marseille.

 

(5/5) Rêve et réalité autour d’un revenu pour tous

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Dernier volet de la série avec l’exploration d’une idée déjà ancienne – ses premiers concepteurs l’ont proposée dès le XVIIIème siècle –  qui resurgit dans nos sociétés troublées et fait débat : le revenu universel. Instrument de justice sociale dans un monde qui s’interroge sur le partage, voire la fin du travail, ce principe philosophique autant qu’économique et social interroge nos modes de vie, notre rapport à l’activité et au temps libre, notre vision de l’égalité et de la redistribution. Utopie, fantasme ou solution crédible pour l’avenir ? Des réponses avec Guillaume Allègre qui a rassemblé et présenté plusieurs contributions dans Pour ou contre le revenu universel (PUF, 2018).

 

Le non-recours aux minimas sociaux, notamment le RSA, en France, est estimé à 35%. (…) Les gens manquent d’informations, se sentent stigmatisés, trouvent que les efforts administratifs sont trop importants ou ne font pas la demande pour une raison éthique. (Guillaume Allègre)

 

On parle de ras-le-bol fiscal, participant à l’affaiblissement du projet social-démocrate (…) : dans son dernier livre, Alexis Spire mesure que 60% des personnes de classes populaires pensent que la charge d’impôt est trop forte en France, et 40% dans les classes supérieures. (Guillaume Allègre)

 

Pour être réellement émancipateur, le revenu universel devrait être de 1000 € par mois. Or, un tel revenu, qui permettrait aux gens de s’arrêter de travailler, ne serait pas finançable car cela coûterait 600 milliards d’euros, c’est-à-dire 40 à 45 points de CSG. (Guillaume Allègre)

 

Musique diffusée pendant l’émission : « Working Class Hero » de John Lennon.
BIBLIOGRAPHIE
Pour ou contre le revenu universel ? Philippe van Parijs et Guillaume Allègre PUF, 2018
Résistances à l’impôt, attachement à l’Etat : enquête sur les contribuables français Alexis Spire Seuil, 2018
INTERVENANT
Guillaume Allègre
Economiste à l’OFCE, centre de recherche en économie de Sciences-Po, spécialiste des questions de protection sociale et de fiscalité.